Le prix des Écrivains du sud lance la saison des récompenses littéraires, qui seront décernées ce premier semestre. Dans la catégorie Roman, le jury a choisi « Tu seras un homme, mon fils » (Gallimard) de Pierre Assouline et dans la catégorie Essai, « La Paix avec les morts » (Grasset) de Rithy Panh.
Jusqu’où un père est-il responsable du destin de son fils ?
Le prix littéraire des Écrivains du Sud, présidé par l’écrivain Metin Ardi récompense chaque année un roman et un essai « à l’occasion de la publication d’une œuvre de langue française remarquable pour sa mise en valeur de la littérature ». Pour l’édition 2020, deux ouvrages ont frappé l’esprit des critiques.
Il s’agit de « La Paix avec les morts » de Rithy Panh (Grasset) dans la catégorie Essai et « Tu seras un homme, mon fils » (Gallimard) de Pierre Assouline dans la catégorie Roman. Nous nous attarderons sur ce dernier récit.
« Comme pour la plupart de mes livres il s’agit de la rencontre de deux éléments. Une interrogation ancienne autour de la question suivante : Jusqu’où un père est-il responsable du destin de son fils ? Une interrogation plus récente est liée à des lectures à Londres, sur les rapports entre Kipling et son fils et sa responsabilité dans la mort du jeune homme envoyé à la guerre en 1914, ce qui a ruiné la vie de l’écrivain. Lorsque ces deux éléments se sont entrechoqués, cela a déclenché l’écriture de ce livre », explique Pierre Assouline, qui a mené un énorme travail de recherche pour rédiger ce récit poignant.
Le point de vue d’un professeur de lettres
Avec « Tu seras un homme, mon fils », Pierre Assouline a écrit un remarquable roman qui nous plonge dans l’intimité de Rudyard Kipling, l’auteur du Livre de la jungle, dévasté par la mort de son fils. Le 23 janvier 1941, le narrateur Louis Lambert, professeur de lettres au lycée Janson-de-Sailly, se retrouve à Londres, à l’abbaye de Westminster. Résistant, il fit l’objet de révocation de la part de son établissement. Mais c’est quelque chose d’autre qui guide ses pas : cinq années auparavant, il avait fait le voyage dans ce lieu même pour les grandioses funérailles de Rudyard Kipling, Prix Nobel de littérature en 1907, à 42 ans. Lambert a une obsession : traduire au plus près de la lettre et de l’esprit If, le célèbre poème qui se termine par Tu seras un homme, mon fils.
John Kipling, le malheur de son père
Assouline s’intéresse particulièrement à John, le fils de Rudyard, le malheur de sa vie. John Kipling, myope comme son père, qui l’a poussé à épouser une carrière militaire alors qu’il était refusé par plusieurs corps, meurt en France à l’âge de 18 ans dès sa première bataille, celle de Loos, en 1915. Ce drame vient après un autre, la mort de sa fille aînée. Père de trois enfants, l’illustre écrivain n’a plus qu’une fille, et une femme qui ne l’enthousiasme guère. Toute son existence, Kipling, miné par la culpabilité, sembla hanté par le fantôme de son fils dont on n’a jamais retrouvé le corps.
Jusqu’à sa mort en 1936, Rudyard Kipling procéda à des fouilles dans la région pour retrouver les preuves de la mort de son fils ou de sa dépouille. En 1991, grâce à des recoupements successifs effectués dans les archives des Irish Guards et divers documents dont la biographie de Rudyard Kipling et les récentes recherches sur l’origine du cimetière « St Mary’s A.D.S. », les spécialistes britanniques de la Grande Guerre ont pu identifier la tombe du lieutenant John Kipling. Celle-ci se trouverait dans le cimetière britannique Sainte-Marie de Haisnes-lez-la-Bassée St.Mary’s Advanced Dressing Station Cemetery.
Le père, garant de l’autorité et de l’ordre
Cette relation particulière entre Rudyard Kipling et son fils met en lumière l’image d’un père tout puissant, qui impose sa volonté à sa progéniture parce qu’autorité lui est donnée. Le psychanalyste français Jacques Lacan rappelait à juste titre que « Le père imaginaire c’est le père tout puissant, c’est le fondement de l’ordre du monde, dans la conception ; comme de Dieu de garantir l’ordre universel dans ses éléments réels les plus massifs et les plus brutaux, c’est lui qui a tout fait ».